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mercredi 21 mai 2014

Les Enfants d'Icare, de Arthur C. Clarke

Du même auteur sur le blog : Les Chants de la Terre Lointaine

Illustration : Manchu
Présentation de l'éditeur : Ils sont apparus sans crier gare, leurs immenses vaisseaux flottant au-dessus des plus grandes capitales mondiales. Les Suzerains, des extraterrestres infiniment plus avancés, et qui affirment être la pour le bien de l'humanité. Et effectivement, même s'ils refusent pour le moment de se montrer, tout ce qu'ils font pour la Terre s'avère bénéfique : désarmement général, éradication des maladies, de la faim et de la misère. Pourtant... ne faudrait-il pas se méfier de ces mystérieux bienfaiteurs ? Et se demander quelles sont leurs véritables intentions quant à l'avenir de l'espèce humaine ?
Etant donné que le roman date de 1953, l'idée de base du roman est d'une grande originalité et prend à contre-pied les poncifs de la Science-Fiction. En effet, le thème de la rencontre avec une espèce extraterrestre bien plus avancée est complètement retourné par rapport aux habituels scénarios catastrophes type La Guerre des Mondes. Ici, les extraterrestres nommés Suzerains par les Hommes vient visiblement pour guider l'humanité.

L'histoire s'étend sur trois périodes dans la relation Hommes-Suzerains. Tout d'abord la prise de contact, et la manière dont les extraterrestres imposent avec assurance un certain nombre de réformes à l'humanité. Celles-ci ne sont pas faciles à avaler, mais s'avèrent toujours dans l'intérêt de l'humanité. Clarke va plus loin puisqu'il présente les Suzerains comme les sauveurs de l'humanité qui les ont empêchés de s'autodétruire. En effet la prise de contact a lieu à la même époque que la sortie du roman, alors que la Guerre Froide franchit une étape avec la multiplication des essais d'équipements nucléaires, et la guerre atomique semblait alors inévitable (en 1953, l'horloge de l'apocalypse indique 23h58). Clarke passe peut-être un peu trop vite sur la maigre résistance de certains face aux exigences des visiteurs, mais celle-ci sert surtout à introduire les questionnements sur lesquels le récit est fondé : pourquoi les Suzerains refusent-ils de dévoiler leur visage ? Peut-on leur faire entièrement confiance ou ont-ils d'autres buts ?

La deuxième période, l'Age d'Or de l'Humanité, commence environ un demi-sicèle après l'arrivée des vaisseaux quand le Superviseur Suzerain dévoile enfin son apparence comme il l'avait promis. En à peine une génération, les hommes ont suffisamment progressé pour ne pas s'arrêter à l'aspect physique qui éveille d'anciennes terreurs. Cette période est celle où l'on commence réellement à douter des intentions des Suzerains, car elle est marquée par une nette stagnation de la société humaine. Mais la piste lancée par Clarke, qui concerne les facultés potentielles de l'Homme, brouille un peu les pistes. La troisième et dernière période, qui survient après une ellipse temporelle encore plus courte, répond à toutes les questions : la vérité sur les Suzerains et leur mission, le chemin emprunté par l'humanité.

Le roman est un peu court au vu des thèmes qu'il aborde : il a des airs de compte-rendu un peu sec et il y avait beaucoup de choses que Clarke aurait pu développer d'avantage. D'un autre côté, le livre est propre à stimuler l'imagination et de ce point de vue ce n'est pas plus mal que tant de choses soient laissées ouvertes au lecteur. Dans la même veine, on peut regretter un caractère un peu impersonnel, du fait qu'il n'y a pas de personnages auxquels le lecteur puisse vraiment s'attacher. Mais là encore, l'intention semble clairement d'inviter le lecteur à réfléchir sur les thèmes abordés, et éventuellement de songer à ce qu'il ferait dans cette situation, plutôt que de s'identifier trop fort à une figure particulière. Au fond, il s'agit d'un roman où l'histoire et les enjeux transcendent les personnages qui en deviennent secondaires. Ce n'est pas du goût de tout le monde, mais pour ma part j'ai été bien plus fasciné par les thèmes de réflexion avancés par Arthur Clarke. De ce roman, il ressort plusieurs questions puissantes, en particulier celle-ci : que nous soyons seuls ou pas, serons-nous jamais prêts pour ce que l'univers nous réserve ?

jeudi 24 octobre 2013

Les Chants de la Terre Lointaine, de Arthur C. Clarke

L'auteur : Né en 1917 et décédé en 2008, Arthur C. Clarke est une grande figure de L'Age d'Or de la SF, avec un nombre impressionnant de nouvelles, cycles et romans isolés. Son nom est maintenant indissociable de 2001 : L'Odyssée de l'espace. Il écrit le scénario du film et le roman qu'il publie en parallèle à partir d'une de ses nouvelles publiée en 1951. S'il se consacre à l'écriture justement à partir de 1951, il a également été un homme de science visionnaire. Il est par exemple le premier à avoir suggéré dans les années 40 que l'on pourrait établir un réseau de satellites sur l'orbite géostationnaire.


Illustration : Manchu
(bizarrement cachée dans l'édition epub)

Présentation de l'éditeur : La Terre se meurt et les derniers représentants de l'espèce humaine prennent place à bord du Magellan pour un voyage de plusieurs centaines d'années. Au cours d'une escale sur une planète-océan colonisée longtemps auparavant par des vaisseaux-semeurs, l'équipage du Magellan rencontre des humains pour qui la Terre n'est déjà plus qu'un lointain souvenir, une légende.
Certains pensent qu'avec cette histoire l'auteur répond à ceux - dont je ne fais pas partie - qui estimaient ses écrits trop froids et impersonnels. Si c'est vrai, alors c'est une superbe réponse. A condition de prendre ce roman pour ce qu'il est. Plutôt décrié à sa sortie, on lui a reproché un scénario trop plat, manquant du souffle ou de la grandeur de 2001 : L'Odyssée de l'Espace ou Rencontre avec Rama. Mais je pense que ces attaques sont mal placées. Ce n'est pas un hasard s'il reprend ses idées antérieures et fécondes en ce qui concerne le côté scientifique. Même le thème de l'intelligence extraterrestre, pourtant très cher à l'auteur, est à peine effleuré. C'est ailleurs qu'il faut chercher : les enjeux les plus massifs, comme la survie des derniers hommes nés sur Terre, s'effacent derrière le déroulement et les conséquences d'une rencontre incroyable et mélancolique.

Sept cents ans après sa fondation, la colonie humaine de la planète Thalassa voit sa vie et son développement bouleversés par l'arrivée d'un gigantesque vaisseau en orbite. A leur stupéfaction, le vaisseau ne vient pas d'une autre colonie : à son bord, près d'un million d'individus en stase cryogénique qui sont les derniers survivants de la Terre. Thalassa ne devait être qu'une escale anodine dans leur voyage vers une autre planète, pendant laquelle ils devaient renouveler leur bouclier protecteur. Surprise donc également du côté des Terriens : faute de contact récent ils s'attendaient à trouver la planète déserte, au lieu de quoi ils découvrent une société harmonieuse quoi qu'un peu stagnante.

Les opérations pour restaurer la protection du vaisseau Magellan dureront un peu plus d'un an, une période qui marquera à jamais les membres des deux groupes humains. Pour le peuple de Thalassa, la Terre n'est qu'un souvenir presque mythique et l'arrivée des Terriens provoque le choc d'un renouement direct avec leurs racines profondes mais peu familières et abstraites. Pour les Terriens, la découverte de la colonie est le constat émouvant de la réussite du genre humain à s'établir dans l'espace lointain et à perdurer malgré la perte de notre monde d'origine. C'est aussi un léger baume sur le traumatisme de la destruction du système solaire qui est pour eux toute récente puisque leur sommeil artificiel de 200 ans n'a eu aucune prise sur eux.

Les habitants de Thalassa, par leur seule existence et leur caractère, apportent une touche très sereine aux retrouvailles. Ils représentent l'espoir que l'humanité peut repartir de zéro, ailleurs, libérée de ses erreurs passées et sans en refaire la plupart. Les Terriens apportent à la fois le témoignage des réalisations et capacités humaines ainsi que la nostalgie d'un passé perdu qu'ils rendent beaucoup plus concret auprès de leurs cousins éloignés. Il y a là les deux facettes de ce que devrait être le deuil : garder le souvenir présent, ce que les Lassans avaient perdu, et trouver l'apaisement, ce que les Terriens n'avaient pas. La thématique est amplifiée par son objet : rien de moins que la perte de nos origines ! Elle l'est aussi par son ampleur puisque le processus de deuil s'inscrit dans une temporalité faramineuse et un voyage titanesque : on parle de centaines d'années et de dizaines de milliers de milliards de kilomètres.
C'est donc sans surprise que la séparation apportera à son tour son lot de douleur. C'est une épée de Damoclès tout au long du séjour des Terriens sur Thalassa, une perspective de plus en plus insupportable tandis qu'elle se rapproche. Il y a là aussi quelque chose qui relève du deuil : les deux groupes devront composer avec cet avenir proche, prendre conscience du sentiment de perte et l'accepter avant même que la séparation ait lieu. Quant à en guérir, c'est une autre histoire qu'ils devront vivre séparément.

Ces deux formes de deuil ne sont donc pas de petites choses, et les voir personnifiées dans la manière dont ils affectent certains individus est à mon avis très touchant. Car au milieu de ce tourbillon formé par les siècles, les années-lumière et la destinée de l'espèce, il y a des hommes et des femmes dont la vie est bouleversée. Il y a bien sûr le plus évident : la relation Loren-Mirissa-Brant. Il y a aussi cette poignée de Terriens qui se refusent à quitter Thalassa au point de demander l'abandon de la suite du voyage. Il y a les Lassans qui aimeraient voir les Terriens rester. Et il y a Kaldor qui, tout en devant gérer ses pertes personnelles, cherche à rendre la rencontre aussi bénéfique - ou aussi peu risquée - que possible.

Tandis que sont décrits les moments clés du séjour des Terriens, beaucoup d'autres thèmes profonds sont évoqués. Questions éthiques, réflexions sur la culture et la nature humaine, religion... L'auteur offre une multitude d'occasions au lecteur de considérer des questions cruciales et vertigineuses à la lumière de la description de la fin de la Terre, de l'exode du Magellan et de son escale.
A l'inverse il n'évoque pratiquement pas le futur des Terriens sur Sagan II. Il reste évasif sur le futur de Thalassa mais laisse entendre que les bouleversements seront bien plus grands et nombreux qu'attendus. La découverte d'une espèce extraterrestre locale peut-être intelligente pose de nouvelles perspectives. Les relations entre ces Scorps et les Lassans seront sans doute une étape déterminante pour la colonie humaine, qui semble aussi promise à d'importants et peut-être inquiétants changements internes provoqués par Fletcher. Mais pour intéressants qu'ils soient, ces éléments ne sont que des effets lointains de ce qui fait le coeur du roman.

Ce n'est probablement pas le meilleur roman d'Arthur C. Clarke. Ce n'est d'ailleurs pas mon préféré. Mais ce n'en est pas moins un coup de coeur, dont je ne comprends vraiment pas qu'on puisse dire qu'il manque de profondeur.

samedi 28 septembre 2013

Un monde idéal où c'est la fin, de J. Heska

L'auteur : Né en 1983 dans le Var, J. Heska est un jeune auteur. Qui a tout de même trois romans publiés à son actif. Brouillé avec son premier éditeur, il crée les éditions Seconde Chance à Lille et s'auto-publie pour ses deuxième et troisième romans. En voilà un qui en veut, au point d'enfiler la double casquette auteur/éditeur. Quand on sait que son activité d'écrivain ne lui permet pas (encore ?) de lâcher son travail, on admire d'autant plus le boulot abattu.




Présentation de l'éditeur : Bienvenue dans un monde idéal !
Un monde idéal où la civilisation telle que nous la connaissons n'existe plus. Dérèglement du temps ? Avènement de la magie ? Crise climatique irréversible ? Epidémie mondiale de mort subite ? Extra-terrestre maladroits ? Invasion de poireaux découpeurs de cervelle ? Crise de déprime globale ? Robots hors de contrôle ? Zombies entreprenants ?
Découvrez 100 histoires drôles, émouvantes, tragiques ou absurdes qui mènent à notre perte !


Avec ce recueil de courtes nouvelles, l'auteur nous donne (presque) toutes les raisons de croire que tout va mal finir. De la stupidité de l'homme à l'accident complètement inévitable, les causes possibles de notre fin ne manquent pas. L'auteur enchaîne les développements tour à tour improbables, inquiétants de plausibilité ou absurdes.

Ce qui frappe dans ce recueil, c'est donc d'abord la diversité des scénarios. C'est surtout l'efficacité de l'écriture. En effet, il ne faut pas plus de deux pages à J. Heska pour planter un décor, introduire quelques personnages, mettre en scène une fin du monde. Parfois un paragraphe y suffit. En dehors de la simplicité de l'écriture, cet effet est aussi provoqué par une utilisation judicieuse de nombreuses références.
Il y a bien sûr une foule de référence à des oeuvres de Fantasy, Science Fiction et autres : Dune, Le Cycle des Robots, Harry Potter, Terminator, Stargate, Matrix, etc. Et même une nouvelle qui reprend l'idée du cimondisme tiré du premier roman de l'auteur, Pourquoi les gentils ne se feront plus avoirIl y a aussi la reprise et la réappropriation de thèmes et de codes très familiers : crise financière, inquiétudes écologistes, etc. Tout cela permet au lecteur de se retrouver le plus souvent en terrain plutôt familier, et facilite d'autant sa lecture : quelques lignes suffisent alors pour qu'il puisse tout de suite se représenter la situation et le contexte, et compléter de lui-même le tableau.

Et puisqu'on parle de l'écriture il faut aussi souligner que J. Heska a varié les plaisirs pour éviter de rendre la lecture monotone, même quand on lit plusieurs nouvelles d'une traite. On trouvera donc de l'uchronie comme de l'histoire à chute, différents types de narrateurs, différents registres et même quelques variations de style. Bref, pas mal de boulot pour un résultat convaincant.

L'autre levier de ce recueil qui a très bien fonctionné pour moi, c'est l'humour. On en trouve des formes différentes quoique très proches : cynique, pince sans rire, parfois noir, souvent mordant, quelques fois tourné vers l'absurde. J'avoue que c'est un genre d'humour auquel je suis réceptif. Mais je pense aussi que, quand on veut placer de l'humour dans un tel recueil, c'est un genre qui de toute façon fonctionne bien avec le thème de la fin du monde. Ce qui est également plaisant, c'est que l'ironie n'a pas tant vocation à faire passer une opinion de l'auteur qu'à rendre telle situation cocasse et à amuser. De sorte qu'on est pas envahi par les idées et jugements de l'auteur, même si on pense les deviner de temps à autres.

C'est peut-être parce que l'auteur et moi sommes de la même génération et avons visiblement pas mal de goûts en commun. Peut-être que ces nouvelles ne plairont pas autant à d'autres générations - ou des gens ne partageant pas les mêmes références ou le même humour. Je serais bien en peine de pouvoir prédire du succès du livre pour un autre lectorat. En tout cas pour ma part j'ai passé un excellent moment avec ce livre, qui va bientôt rejoindre ma bibliothèque. (Merci à Koré de m'avoir prêté son exemplaire en attendant que je me le procure. Cela fait quelques temps que je lorgnais dessus)

Et puisque J. Heska habite en ce moment à Lille, je peux compter cette lecture pour le Challenge C'est arrivé près de chez vous.



samedi 21 septembre 2013

Le Cycle d'Ender, d'Orson Scott Card

L'auteur : Né en 1951, Orson Scott Card est un écrivain qui s'est frotté à plusieurs genres : théâtre, poésie, fantasy... et bien sûr SF. C'est en effet dans ce domaine qu'il est particulièrement reconnu. Il a notamment été le premier à remporter deux années de suite deux prix importants (prix Hugo et Nebula) pour les deux premiers tomes de ce cycle d'Ender.


Tome 1 : La Stratégie Ender
Illustration :
J. M. Ponzio

Présentation de l'éditeur : Il y a cinquante ans la flotte terrienne a réussi à repousser l'attaque des doryphores. Aujourd'hui pourtant, une nouvelle invasion menace. Un programme militaire pour la formation des futurs commandants de la flotte est en cours, mais le temps est compté. Parmi les élèves officiers - tous des surdoués -, Andrew Wiggin, dit Ender, focalise toutes les attentions. Appelé à devenir un puissant stratège, il est le jouet des manipulations de ses supérieurs depuis sa naissance... et cela le dépasse. Car d'est entre ses mains que repose le sort de l'humanité. Et Ender n'a que six ans.

Note : C'est bien Orson Scott Card qui a écrit ce roman, n'en déplaise à l'éditeur français qui s'emmêle les pinceaux ICI. Au passage, je dois vous prévenir si ce n'est pas déjà trop tard que la bande-annonce du film à venir le 6 novembre en dit un peu trop sur l'histoire.

"Nécessité fait loi", paraît-il. Une variante de "la fin justifie les moyens", l'autre poncif qui m'était venu à l'esprit la première fois que je suis tombé sous le charme de La Stratégie Ender. Et le charme a de nouveau opéré.
La situation est la suivante : une race extraterrestre, les doryphores, ont bien failli annihiler l'espèce humaine par le passé. Il s'en est fallu d'un stratège de génie lors de la Seconde Invasion. Pour les humains, un seul espoir apparent : trouver le prochain stratège providentiel et le former à temps. Ender paraît le meilleur candidat, en même temps que le dernier espoir.

Le récit nous offre une vision parcellaire de la situation sur Terre. C'est parce qu'il prend pratiquement toujours le point de vue d'Ender, qui avait 6 ans lorsqu'il a quitté la Terre pour l'Ecole de Guerre. Quelques blancs seront remplis par des incursions peu fréquentes du côté de Valentine, sa soeur aînée. En tout cas le tableau n'est pas folichon : on comprend que la menace doryphore a donné un brusque coup de frein à la Guerre Froide, mais que l'unité face à la crise n'est pas définitive.
(Pas étonnant : le roman paraît l'année même où le Pacte de Varsovie - qui a toujours cours dans l'histoire - est renouvelé pour 20 ans après 30 d'existence.)
Et côté bloc de l'ouest, la situation n'est pas particulièrement rose du point de vue humain : pour éviter la surpopulation, un contrôle strict des naissances est mis en place et Ender, qui est un Troisième (enfant), ne doit sa venue au monde qu'aux promesses de son patrimoine génétique. Il est au moins aussi brillant que ses aînés, sans être un psychopathe comme son frère ni trop tendre comme sa soeur. L'éducation est strictement contrôlée, le potentiel des individus évalués par surveillance électronique dans leur enfance, la plupart des religions interdites (le contrôle des naissances est difficilement conciliable avec le christianisme, par exemple), l'information maîtrisée, le courrier censuré.

Quand la survie de l'espèce est en jeu, rien ne doit ralentir l'effort de guerre et compromettre la formation des futurs officiers. Et c'est sur ce point que le lecteur en prendra le plus dans la figure. C'est avec une fascination ponctuée de crises morales intenses (en tout cas dans mon cas) que l'on constate ce que les enfants subissent. Et surtout Ender, à qui rien ne sera épargné pour le bien de la cause.
Impossible, à mon avis, de rester indifférent à la lecture. Surtout que nous sommes le plus souvent immergés dans son esprit, et que rien ne nous est épargné de ses souffrances morales. Celles-ci sont d'autant plus grandes que, parce qu'il est incroyablement intelligent et lucide, il perçoit les manoeuvres dont il est victime et comprend au moins en partie leurs raisons. Impossible aussi de rester indifférent parce que de nombreux passages, au début des chapitres, montrent clairement que ses bourreaux sont conscients de ce qu'ils font, hésitants devant la cruauté de leur méthode, et finalement se soumettent à la "nécessité".

Ce qui interpelle aussi, c'est la vision de ce qu'est l'enfance. Certes on choisit Ender et les autres parce qu'ils sont intelligents, mais peut-être surtout parce qu'ils sont des enfants. De ce point de vue le roman véhicule une idée qui était plutôt en vogue à l'époque - les années 80. La pureté des enfants ne se mesurent pas en terme de bien ou de mal. Les enfants sont capables du pire comme du meilleur parce qu'ils ne sont pas encore formatés comme les adultes. Cela interpelle et cela gêne, mais peut-être parce que ce n'est pas complètement faux. Et vous constaterez à la lecture que la stratégie des adultes qui exploitent Ender repose sur cette idée. Sur ce genre de thématique, je vous recommande La Nuit des Enfants Rois de B. Lenteric ou encore Daddy de Loup Durand. Et je ne vous raconte pas d'histoire à propos de l'époque qui veut ça, puisqu'ils datent respectivement en 1981 et 1987. J'ai beaucoup aimé ces deux romans, et je vous en parlerai sans doute sous peu.

Pour en revenir à ce tome, de nombreux points vaudraient le coup d'être cités pour souligner l'intelligence du récit et le soin apporté par l'auteur dans la conception de son univers. Mais je ne voudrais pas allonger ce billet à ce point ni gâcher votre plaisir. Je mentionnerai pourtant (sans la dévoiler) la fin du roman, où la narration et son rythme changent radicalement pour prendre les traits du résumé. Peut-être a t'elle été moins travaillée, peut-être n'a t'elle été écrite qu'au dernier moment, quand l'auteur a eu une idée plus claire de la suite du cycle. Mais vu les compétences de Orson Scott Card, il y a sans doute une grande part de choix délibéré. Si les choses s'enchaînent si vite à la fin, c'est parce que tous les évènements qui y sont décrits pèsent finalement peu face à la non-enfance d'Ender.

lundi 16 septembre 2013

Ta-Shima, de Adriana Lorusso

L'auteur : Adriana Lorusso est née en 1946 à Treviso (Nord-Est de l'Italie). Ayant été traductrice, elle a joué un rôle important dans la traduction de ses manuscrits de l'italien vers le français. Elle vit à Bruxelles. La saga Ta-Shima comprend deux tomes et un recueil de nouvelles.

Tome 1 : Ta-Shima


Illustration :
Stephan Martinière
Présentation de l'éditeur : Pendant huit siècles, la planète Ta-Shima est restée à l'écart de la Fédération des mondes humains. Deux races humaines très différentes mais complémentaires y coexistent : les Shiro, seigneurs arrogants et sanguinaires, prêts à s'entre-tuer pour une simple question d'honneur et les Asix, trapus et velus, qui vouent aux Shiro une admiration sans borne et que ceux-ci doivent protéger en toute circonstance. Mais l'équilibre entre les deux races est bien plus subtil qu'il n'y paraît, comme le découvrent peu à peu l'ambassadeur de la Fédération et sa suite. La dirigeante de Ta-Shima étant morte dans un accident plutôt suspect, les membres du conseil décident de rappeler sur leur monde une doctoresse rebelle, Suvaïdar Huang. Mais Suvaïdar n'a aucune envie de rentrer à la maison : la vie est nettement plus commode sur les planètes hyperdéveloppées de la Fédération. Sous la pression des évènements, elle sera néanmoins obligée de s'enfuir pour Ta-Shima, en compagnie de son frère. Parviendra-t-elle à abandonner ses habitudes étrangères pour redevenir une authentique Shiro ? Et découvrira-t-elle le secret de Ta-Shima, qui doit être protégé à tout prix ?

La Sadaï, dirigeante de Ta-Shima, meurt dans une explosion. Le nouveau Conseil ne croit pas à l'accident, et soupçonne les Extramondins, c'est-à-dire la Fédération de 127 planètes qui a redécouvert Ta-Shima il y a peu. Quelqu'un s'est arrangé pour que la Sadaï soit accompagnée par deux de ses fils. Il s'agirait donc d'un attentat contre la lignée de la Sadaï et il n'y a bien que les Extramondins pour croire qu'une fonction peut être héritée. Ces soupçons se précisent quand deux autres enfants naturels de la Sadaï, Oda et Suvaïdar, sont poursuivis par les services secrets de la Fédération. Pour la suite de ses rapports avec les Extramondins, le Conseil a besoin de les comprendre et doit faire appel à Suvaïdar, seule de son peuple à avoir vécu intentionnellement dans l'Extramonde.
Parallèlement, le nouvel ambassadeur et la majorité de sa suite sont pleins de préjugés et persuadés que leur devoir est d'apporter la civilisation à Ta-Shima. Ces sauvages manquent du confort le plus élémentaire, ne maîtrisent pas la langue universelle et n'ont jamais entendu parler de la religion unificatrice. Suvaïdar est la seule qui puisse faire tampon dans le choc des cultures. Elle doit empêcher que les incompréhensions mènent au conflit généralisé qui signifierait l'annihilation des Ta-Shimoda : si les Shiro placent toujours leur honneur avant leur survie, la protection des Asix est leur priorité. Mais le risque est grand car il y a un aspect au coeur de l'existence Ta-Shimoda qui à lui seul peut pousser la Fédération à prendre les armes.

J'ai trouvé ce premier tome enthousiasmant, mais il n'est pas dénué de défauts. Le premier d'entre eux : la longueur. Il me paraît évident que le roman aurait pu être grandement raccourci tout en gardant ses qualités : à défaut d'être supprimées, certaines digressions auraient du au moins être écourtées. Celles-ci s'accompagnent presque systématiquement de ralentissements dans la progression du récit, le plus souvent à coups de descriptions, qui n'apportent rien au développement de ce tome - et dont on imagine difficilement qu'ils puissent se justifier dans le suivant. Quant au deuxième aspect qui m'a paru insatisfaisant, il m'est plus facile de le présenter en passant d'abord par les points forts du livre.

La description du choc des civilisations fonctionne très bien. Le sentiment d'étrangeté entre les deux cultures est mis en scène adroitement, à travers des dialogues ou réflexions personnelles de certains personnages sur une multitude de sujets, y compris les plus quotidiens : cela va des conventions à table et du mobilier à la notion de famille (ou son absence), la place de la femme dans la société (et le gouvernement), ou la sexualité. C'est ainsi que certains personnages et le lecteur mettent plus ou moins rapidement à jour la différence fondamentale entre le pragmatisme poussé à l'extrême sur Ta-Shima et une conception de la vie plus familière pour le lecteur occidental du côté de la Fédération (si l'on excepte certains excès de zèle religieux/moral). L'incompatibilité apparemment insurmontable entre les deux cultures s'exprime même par la présence de certains concepts chez les uns qui sont totalement absents chez les autres, ce qui se manifeste dans une difficulté supplémentaire : la barrière de la langue.
"[Suvaïdar] n'arrivait pas à décrire à ses compatriotes la réalité [d'autres mondes], elle se heurtait toujours à des problèmes sémantiques, ou à leur difficulté à comprendre comment pouvait fonctionner une société si différente de la leur"
L'aspect linguistique du problème est trop souvent oublié ou carrément exclu d'office par le miracle d'une langue unique dans une galaxie entière. Si ici le problème semble circonscrit à la planète Ta-Shima, c'est déjà bien de l'avoir souligné. C'est aussi dommage de ne pas l'avoir exploité d'avantage.

Autre satisfaction : le personnage de Suvaïdar qui est bien traité pendant la quasi-totalité du roman. Gênée par certains points de sa propre culture, elle s'était exilée pour aller voir si l'Extramonde lui allait mieux. Sa reprise de contact avec les coutumes qui la mettaient mal à l'aise sont intéressants. Ils sont l'occasion de se familiariser avec la société Ta-Shimoda. Ils sont aussi l'occasion pour Suvaïdar d'y réfléchir de nouveau, à la lumière de son expérience au contact de la Fédération. En réapprenant petit à petit à être une Shiro authentique, elle passe par un certain nombre de crises aussi bien envers sa propre culture que celle de l'Extramonde à laquelle elle n'avait finalement jamais pu s'adapter. Si elle est la plus à même de saisir les racines du problème entre Ta-Shimoda et Extramondins, c'est parce qu'elle est elle-même l'incarnation du choc des cultures.

Pour retrouver sa place, Suvaïdar doit en passer par une réflexion profonde sur sa propre culture. C'est là qu'intervient "le plus grand secret de Ta-Shima". Confusément consciente que quelque chose lui échappe, Suvaïdar en vient à approfondir un aspect reconnu comme normal sur Ta-Shima (et déstabilisant pour le lecteur). Paradoxalement, c'est une péripétie de cette enquête qui permet de renouer (maladroitement, il faut le dire) avec les évènements du début du roman et "l'accident" de sa mère biologique, qui avaient été complètement mis de côté pendant la majorité du récit (mais mon sentiment est que ce n'a jamais été l'enjeu de ce premier tome).

Arrive alors, à la fin du roman, ma deuxième grande insatisfaction. Pour des raisons que je ne peux donner sans spoiler, Suvaïdar en vient à prendre une décision radicale et à opérer un choix quant à sa culture et sa place dans le monde. Mais ce dénouement manque de crédibilité : trop soudain, il semble également peu cohérent avec l'évolution du personnage au cours du roman, qui avait pourtant été traité relativement bien jusque là. Ce point laisse un goût quand même un peu amer. Cela dit, tout n'est pas perdu puisqu'on peut espérer que le deuxième tome fasse la lumière sur cet aspect, ou le rectifie. Bref, il faut espérer que cette conclusion soit bien gérée dans la suite du cycle. Personnellement, l'intérêt suscité par ce premier tome m'encourage à donner sa chance au deuxième tome.


Illustration :
Stephan Martinière

Présentation de l'éditeur : Sur Ta-Shima, l'ambassadeur de la toute-puissante Fédération des mondes humains a décidé d'explorer la planète en compagnie de sa seconde épouse et de sa fille. Le jeune Rinvar, adolescent orgueilleux et champion de sabre, a été choisi pour les accompagner, à son grand déplaisir. Mais les choses ne se passent jamais comme prévu sur ce monde étrange et dangereux, que seuls les Shiro et les Asix ont réussi à apprivoiser. Et les coutumes, en particulier sexuelles, des uns et des autres sont sources de malentendus sans nombre...

Pendant ce temps, les espions de la Fédération cherchent par tous les moyens à réduire l'autonomie de Ta-Shima et à forcer ses habitants à rejoindre la civilisation humaine. La doctoresse rebelle Suvaidar Huang, qui tire les ficelles de la politique locale, doit protéger à tout prix les secrets des généticiennes Jestak. Mais le prix à payer ne sera-t-il pas trop élevé ?



Suvaidar a donc décidé d'accepter et de protéger le secret de Ta-Shima. Cette décision, surprenante à la fin du premier tome, est pourtant celle qui permet à cette suite de gagner toute son intensité.
La société de Ta-Shima est menacée. Le plus grand danger, c'est que la Fédération décide purement et simplement de se lancer dans un génocide par extrémisme. Mais même si cela ne va pas jusque là, il y a aussi le risque pour la planète d'être simplement intégrée à la Fédération, signant la fin du mode de vie des Shiro et des Asix à plus ou moins long terme et plus ou moins violemment.


Parce qu'elle s'était elle-même exilée au sein de la Fédération et parce qu'elle connaît le secret de Ta-Shima, Suvaidar est la seule à appréhender totalement le danger qui pèse sur son peuple. Elle seule est alors capable d'anticiper certains problèmes qui pourraient se poser dans les interactions avec l'ambassadeur et sa suite. Autant dire que la visite de Ta-Shima par celui-ci, sa deuxième femme, sa fille et le docteur Li Hao est à hauts risques. Comme si ça ne suffisait pas, on apprend aussi que quelqu'un au sein des services spéciaux de la Fédération commence à s'intéresser de plus près à Ta-Shima. Quelqu'un va-t-il découvrir le secret des Jestak ? Quelles en seraient alors les conséquences ?


Ce deuxième tome fait jouer à fond la tension sur ce sujet. Avec les situations à risque et des personnages qui s'approchent beaucoup de la vérité, l'auteur joue continuellement avec les nerfs du lecteur. Dans le même temps, un phénomène plus subtil se développe progressivement : la mise en contact de ces deux civilisations et modes de pensée ne peut pas être sans effet. Suvaidar ne peut pas rester la seule dont la mentalité évolue à cause de sa familiarité avec les deux cultures. Et à vrai dire on se dit souvent à la lecture que ça vaudrait mieux. Les deux civilisations présentent des caractéristiques parfois franchement repoussantes, même si la palme revient aux habitants de Ta-Shima - mais il faut dire que leur culture est à l’origine très étrangère à celle du lecteur.


Bref ce deuxième tome fonctionne plutôt bien. Au final, l’auteur livre un planet-opera qui ne révolutionne pas le genre mais qui se tient, avec ce qu’il faut d’attention et de soin portée aux points les plus importants.