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mercredi 21 mai 2014

Les Enfants d'Icare, de Arthur C. Clarke

Du même auteur sur le blog : Les Chants de la Terre Lointaine

Illustration : Manchu
Présentation de l'éditeur : Ils sont apparus sans crier gare, leurs immenses vaisseaux flottant au-dessus des plus grandes capitales mondiales. Les Suzerains, des extraterrestres infiniment plus avancés, et qui affirment être la pour le bien de l'humanité. Et effectivement, même s'ils refusent pour le moment de se montrer, tout ce qu'ils font pour la Terre s'avère bénéfique : désarmement général, éradication des maladies, de la faim et de la misère. Pourtant... ne faudrait-il pas se méfier de ces mystérieux bienfaiteurs ? Et se demander quelles sont leurs véritables intentions quant à l'avenir de l'espèce humaine ?
Etant donné que le roman date de 1953, l'idée de base du roman est d'une grande originalité et prend à contre-pied les poncifs de la Science-Fiction. En effet, le thème de la rencontre avec une espèce extraterrestre bien plus avancée est complètement retourné par rapport aux habituels scénarios catastrophes type La Guerre des Mondes. Ici, les extraterrestres nommés Suzerains par les Hommes vient visiblement pour guider l'humanité.

L'histoire s'étend sur trois périodes dans la relation Hommes-Suzerains. Tout d'abord la prise de contact, et la manière dont les extraterrestres imposent avec assurance un certain nombre de réformes à l'humanité. Celles-ci ne sont pas faciles à avaler, mais s'avèrent toujours dans l'intérêt de l'humanité. Clarke va plus loin puisqu'il présente les Suzerains comme les sauveurs de l'humanité qui les ont empêchés de s'autodétruire. En effet la prise de contact a lieu à la même époque que la sortie du roman, alors que la Guerre Froide franchit une étape avec la multiplication des essais d'équipements nucléaires, et la guerre atomique semblait alors inévitable (en 1953, l'horloge de l'apocalypse indique 23h58). Clarke passe peut-être un peu trop vite sur la maigre résistance de certains face aux exigences des visiteurs, mais celle-ci sert surtout à introduire les questionnements sur lesquels le récit est fondé : pourquoi les Suzerains refusent-ils de dévoiler leur visage ? Peut-on leur faire entièrement confiance ou ont-ils d'autres buts ?

La deuxième période, l'Age d'Or de l'Humanité, commence environ un demi-sicèle après l'arrivée des vaisseaux quand le Superviseur Suzerain dévoile enfin son apparence comme il l'avait promis. En à peine une génération, les hommes ont suffisamment progressé pour ne pas s'arrêter à l'aspect physique qui éveille d'anciennes terreurs. Cette période est celle où l'on commence réellement à douter des intentions des Suzerains, car elle est marquée par une nette stagnation de la société humaine. Mais la piste lancée par Clarke, qui concerne les facultés potentielles de l'Homme, brouille un peu les pistes. La troisième et dernière période, qui survient après une ellipse temporelle encore plus courte, répond à toutes les questions : la vérité sur les Suzerains et leur mission, le chemin emprunté par l'humanité.

Le roman est un peu court au vu des thèmes qu'il aborde : il a des airs de compte-rendu un peu sec et il y avait beaucoup de choses que Clarke aurait pu développer d'avantage. D'un autre côté, le livre est propre à stimuler l'imagination et de ce point de vue ce n'est pas plus mal que tant de choses soient laissées ouvertes au lecteur. Dans la même veine, on peut regretter un caractère un peu impersonnel, du fait qu'il n'y a pas de personnages auxquels le lecteur puisse vraiment s'attacher. Mais là encore, l'intention semble clairement d'inviter le lecteur à réfléchir sur les thèmes abordés, et éventuellement de songer à ce qu'il ferait dans cette situation, plutôt que de s'identifier trop fort à une figure particulière. Au fond, il s'agit d'un roman où l'histoire et les enjeux transcendent les personnages qui en deviennent secondaires. Ce n'est pas du goût de tout le monde, mais pour ma part j'ai été bien plus fasciné par les thèmes de réflexion avancés par Arthur Clarke. De ce roman, il ressort plusieurs questions puissantes, en particulier celle-ci : que nous soyons seuls ou pas, serons-nous jamais prêts pour ce que l'univers nous réserve ?

jeudi 24 octobre 2013

Les Chants de la Terre Lointaine, de Arthur C. Clarke

L'auteur : Né en 1917 et décédé en 2008, Arthur C. Clarke est une grande figure de L'Age d'Or de la SF, avec un nombre impressionnant de nouvelles, cycles et romans isolés. Son nom est maintenant indissociable de 2001 : L'Odyssée de l'espace. Il écrit le scénario du film et le roman qu'il publie en parallèle à partir d'une de ses nouvelles publiée en 1951. S'il se consacre à l'écriture justement à partir de 1951, il a également été un homme de science visionnaire. Il est par exemple le premier à avoir suggéré dans les années 40 que l'on pourrait établir un réseau de satellites sur l'orbite géostationnaire.


Illustration : Manchu
(bizarrement cachée dans l'édition epub)

Présentation de l'éditeur : La Terre se meurt et les derniers représentants de l'espèce humaine prennent place à bord du Magellan pour un voyage de plusieurs centaines d'années. Au cours d'une escale sur une planète-océan colonisée longtemps auparavant par des vaisseaux-semeurs, l'équipage du Magellan rencontre des humains pour qui la Terre n'est déjà plus qu'un lointain souvenir, une légende.
Certains pensent qu'avec cette histoire l'auteur répond à ceux - dont je ne fais pas partie - qui estimaient ses écrits trop froids et impersonnels. Si c'est vrai, alors c'est une superbe réponse. A condition de prendre ce roman pour ce qu'il est. Plutôt décrié à sa sortie, on lui a reproché un scénario trop plat, manquant du souffle ou de la grandeur de 2001 : L'Odyssée de l'Espace ou Rencontre avec Rama. Mais je pense que ces attaques sont mal placées. Ce n'est pas un hasard s'il reprend ses idées antérieures et fécondes en ce qui concerne le côté scientifique. Même le thème de l'intelligence extraterrestre, pourtant très cher à l'auteur, est à peine effleuré. C'est ailleurs qu'il faut chercher : les enjeux les plus massifs, comme la survie des derniers hommes nés sur Terre, s'effacent derrière le déroulement et les conséquences d'une rencontre incroyable et mélancolique.

Sept cents ans après sa fondation, la colonie humaine de la planète Thalassa voit sa vie et son développement bouleversés par l'arrivée d'un gigantesque vaisseau en orbite. A leur stupéfaction, le vaisseau ne vient pas d'une autre colonie : à son bord, près d'un million d'individus en stase cryogénique qui sont les derniers survivants de la Terre. Thalassa ne devait être qu'une escale anodine dans leur voyage vers une autre planète, pendant laquelle ils devaient renouveler leur bouclier protecteur. Surprise donc également du côté des Terriens : faute de contact récent ils s'attendaient à trouver la planète déserte, au lieu de quoi ils découvrent une société harmonieuse quoi qu'un peu stagnante.

Les opérations pour restaurer la protection du vaisseau Magellan dureront un peu plus d'un an, une période qui marquera à jamais les membres des deux groupes humains. Pour le peuple de Thalassa, la Terre n'est qu'un souvenir presque mythique et l'arrivée des Terriens provoque le choc d'un renouement direct avec leurs racines profondes mais peu familières et abstraites. Pour les Terriens, la découverte de la colonie est le constat émouvant de la réussite du genre humain à s'établir dans l'espace lointain et à perdurer malgré la perte de notre monde d'origine. C'est aussi un léger baume sur le traumatisme de la destruction du système solaire qui est pour eux toute récente puisque leur sommeil artificiel de 200 ans n'a eu aucune prise sur eux.

Les habitants de Thalassa, par leur seule existence et leur caractère, apportent une touche très sereine aux retrouvailles. Ils représentent l'espoir que l'humanité peut repartir de zéro, ailleurs, libérée de ses erreurs passées et sans en refaire la plupart. Les Terriens apportent à la fois le témoignage des réalisations et capacités humaines ainsi que la nostalgie d'un passé perdu qu'ils rendent beaucoup plus concret auprès de leurs cousins éloignés. Il y a là les deux facettes de ce que devrait être le deuil : garder le souvenir présent, ce que les Lassans avaient perdu, et trouver l'apaisement, ce que les Terriens n'avaient pas. La thématique est amplifiée par son objet : rien de moins que la perte de nos origines ! Elle l'est aussi par son ampleur puisque le processus de deuil s'inscrit dans une temporalité faramineuse et un voyage titanesque : on parle de centaines d'années et de dizaines de milliers de milliards de kilomètres.
C'est donc sans surprise que la séparation apportera à son tour son lot de douleur. C'est une épée de Damoclès tout au long du séjour des Terriens sur Thalassa, une perspective de plus en plus insupportable tandis qu'elle se rapproche. Il y a là aussi quelque chose qui relève du deuil : les deux groupes devront composer avec cet avenir proche, prendre conscience du sentiment de perte et l'accepter avant même que la séparation ait lieu. Quant à en guérir, c'est une autre histoire qu'ils devront vivre séparément.

Ces deux formes de deuil ne sont donc pas de petites choses, et les voir personnifiées dans la manière dont ils affectent certains individus est à mon avis très touchant. Car au milieu de ce tourbillon formé par les siècles, les années-lumière et la destinée de l'espèce, il y a des hommes et des femmes dont la vie est bouleversée. Il y a bien sûr le plus évident : la relation Loren-Mirissa-Brant. Il y a aussi cette poignée de Terriens qui se refusent à quitter Thalassa au point de demander l'abandon de la suite du voyage. Il y a les Lassans qui aimeraient voir les Terriens rester. Et il y a Kaldor qui, tout en devant gérer ses pertes personnelles, cherche à rendre la rencontre aussi bénéfique - ou aussi peu risquée - que possible.

Tandis que sont décrits les moments clés du séjour des Terriens, beaucoup d'autres thèmes profonds sont évoqués. Questions éthiques, réflexions sur la culture et la nature humaine, religion... L'auteur offre une multitude d'occasions au lecteur de considérer des questions cruciales et vertigineuses à la lumière de la description de la fin de la Terre, de l'exode du Magellan et de son escale.
A l'inverse il n'évoque pratiquement pas le futur des Terriens sur Sagan II. Il reste évasif sur le futur de Thalassa mais laisse entendre que les bouleversements seront bien plus grands et nombreux qu'attendus. La découverte d'une espèce extraterrestre locale peut-être intelligente pose de nouvelles perspectives. Les relations entre ces Scorps et les Lassans seront sans doute une étape déterminante pour la colonie humaine, qui semble aussi promise à d'importants et peut-être inquiétants changements internes provoqués par Fletcher. Mais pour intéressants qu'ils soient, ces éléments ne sont que des effets lointains de ce qui fait le coeur du roman.

Ce n'est probablement pas le meilleur roman d'Arthur C. Clarke. Ce n'est d'ailleurs pas mon préféré. Mais ce n'en est pas moins un coup de coeur, dont je ne comprends vraiment pas qu'on puisse dire qu'il manque de profondeur.